« On a présenté notre proposition de loi à l’Assemblée Nationale ! »

Le 30 novembre dernier, avec 6 collectifs d’habitants, APPUII, la Commission Rénovation Urbaine d’Étouvie, Pas Sans Nous et la Fondation Abbé Pierre, avec le soutien de Vox Public, ont présenté leur proposition de loi visant à démocratiser la rénovation urbaine et le logement. Parrainée par François Piquemal (LFI-NUPES) et Charles Fournier (EELV-NUPES), cette réunion a permis à la dizaine de députés présent.es de la NUPES et Renaissance d’écouter les constats faits par les collectifs d’habitants mobilisés, et réagir aux propositions des associations.

L’ensemble de la proposition est disponible ici.

Il est 9h, les collectifs et associations attendent l’arrivée des derniers députés retardataires. La réunion commence. Charles Fournier et François Piquemal expliquent les raisons qui les ont poussés à parrainer cet évènement. Le premier rappelle son engagement pour la démocratie et son souhait de permettre aux citoyens d’être porteurs d’initiative législative. Le second souligne son militantisme continu contre le mal-logement et les problèmes que pose la rénovation urbaine.

Après cette brève introduction, Xavier de la Commission Rénovation Urbaine d’Étouvie à Amiens raconte la genèse de cette initiative, de la mobilisation contre la démolition d’un des immeubles du quartier à une boutade prise au sérieux par le député François Ruffin. À son tour, Romain de l’APPUII revient sur l’exposé des motifs de la proposition : arguments urbanistiques fallacieux, coûts écologique, économique et social exorbitants, absence de démocratie… Chaque argument est illustré. Fatima du Comité DAL 78 explique qu’au Valibout à Plaisir, la mairie prévoit la démolition d’immeubles qui viennent d’être réhabilités il y a moins d’un an. Houcine du collectif du Bois de l’étang à La Verrière raconte la présence de la police à chaque concertation. Pour Florian, habitant de l’Alma Gare à Roubaix, les concertations n’étaient que par visioconférence…

Même si une députée de Lorient illustre une concertation et rénovation réussie, les autres concordent majoritairement avec les constats faits. Ils soulignent la complexité de ces projets et l’influence forte de l’ANRU dans le choix des opérations.

Bénédicte de la Coordination nationale Pas Sans Nous expose les 4 propositions défendues par le collectif d’associations :

  • créer un « fonds pour une démocratie d’initiative citoyenne » pour permettre de financer l’organisation collective des citoyens et des possibilités de contre-expertise indépendante ;
  • garantir le droit à l’information et d’initiative des habitants en matière d’urbanisme pour co-construire les politiques de rénovation urbaine ;
  • garantir une animation neutre de la concertation, équitable et indépendante ;
  • organiser à la demande des citoyen·ne·s, des  « assemblées de comptes à rendre » durant tout le processus de rénovation urbaine.

En cette période d’élection de locataires, elle souligne également l’importance de permettre à des associations de locataires de pouvoir candidater sans être affiliées à une fédération nationale, chose qui n’est désormais plus possible.

Les collectifs illustrent très concrètement telle ou telle proposition. Ida du Sanitas à Tours présente comment l’accompagnement technique était nécessaire pour pouvoir construire un projet alternatif et ensuite négocier avec la mairie et Bouygues pour qu’il soit véritablement réalisé. C’est également ce qu’illustre Antonio de l’Atelier Populaire d’urbanisme de Fives, dans l’accompagnement qu’ils mènent avec les habitants de l’Alma Gare. Félix de la Fondation Abbé Pierre souligne l’enjeu de financer les initiatives citoyennes de ce type pour permettre l’expression directe des personnes directement concernées par les problématiques de mal-logement.

Même si certains points d’éclaircissement semblent parfois nécessaires, les propositions font globalement consensus chez les député.es présent.es. François Piquemal et Charles Fournier concluent finalement cette réunion en envisageant des suites pour cette proposition de loi citoyenne : mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur la rénovation urbaine, éventuelle proposition de loi dans le cadre de la « niche parlementaire » des groupes d’opposition, possibilité d’amendements dans de futures lois sur le logement… Le dialogue entre collectifs, associations et parlementaires doit se poursuivre dans les prochains mois pour renforcer et faire avancer nos propositions.

L’ensemble des associations et collectifs présent.es tiennent à remercier François Piquemal et Charles Fournier d’avoir accueillis cet évènement au sein de l’Assemblée Nationale.

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26 novembre 2022 : Premier événement public au Clos Français – La Noue (Montreuil, 93)

Samedi 26 Novembre, le collectif des habitants de La Noue – Clos Français et les associations du quartier ont organisé un événement public pour parler du projet de rénovation urbaine proposé par l’ANRU.

En effet, le projet NPNRU prévoit la démolition de 96 logements et la réhabilitation de 429 pour la phase 1, qui concerne exclusivement le secteur du Clos Français. Annoncés depuis 2018, les travaux devraient débuter d’ici février 2023, pourtant de nombreuses inconnues persistent (résultats du diagnostic amiante, nature des travaux, nuisances…). Ainsi la rencontre a eu pour but d’aboutir à un courrier commun envoyé à l’ensemble des décideurs. 

Une centaine de personnes se sont réunies sur le terrain qui devrait accueillir la future école maternelle du quartier. C’est ici, à quelques pas derrière le centre social du 100 rue Hoche sur les terres occupées par les jardins partagés, que les habitants ont pris la parole pendant près de trois heures, afin de partager leurs informations et leurs inquiétudes sur le futur chantier. Les associations étaient aussi présentes, telles que le DAL HLM nouvellement constitué pour le quartier, une association de médiation culturelle portée par les habitant.e.s -Médiatess, certains membres du conseil citoyen, et APPUII qui a animé la session. 

Pour atteindre l’objectif, les bénévoles et membres d’APPUII ont exposé des cartes illustrant les démolitions prévues, les enjeux et les conflits de la rénovation urbaine, la modification des espaces publics et des équipements. Les locataires ont également pu se renseigner sur les droits au relogement qui concernent certains. 

Cette rencontre sous les barnums chauffés s’est accompagnée d’un repas collectif, chorba, soupe de courges et barbecue étaient au menu. Les locataires ont pu se rencontrer, échanger leurs coordonnées, rentrer dans la boucle whatsapp dédiée et ont décidé de se revoir bientôt afin de ne pas laisser retomber la mobilisation. Affaire à suivre en janvier avec l’arrivée des étudiants en architecture de l’Ensa-Paris La Villette sur le quartier. 

Si vous souhaitez plus d’information sur ce projet ou la mobilisation, n’hésitez pas à contacter :

Le DAL Montreuil : lanouelogementdigne@gmail.com ou l’association APPUII : associationappuii@gmail.com

Et retrouvez le courrier envoyé : ici.

18 novembre 2022 : tou-tes à Fresnes pour la sortie du livre « Lutter pour la cité »

Les membres de l’association Appuii sont fiers de vous annoncer la sortie du livre sur lequel nous avons travaillé d’arrache-pied ces trois dernières années. Ce livre s’intitule « Lutter pour la cité, Habitant·es face à la démolition urbaine » et paraîtra le vendredi 18 novembre aux Éditions de la dernière lettre.

A commander dès maintenant

Il est déjà en pré-commande sur Ulule : https://fr.ulule.com/lutter-pour-la-cite/ Plus que 4 jours pour cette pré-commande : plus de temps à perdre pour commander son exemplaire !

https://www.youtube.com/watch?v=lPMmtXSvhno

Pour cette sortie, nous vous convions toutes et tous à la Salle Aimé Césaire, 1 mail Aimé Césaire à Fresnes, le vendredi 18 novembre à 19h. Venez nombreux-ses !

Voici le sujet de ce livre :

Qu’est‑ce que l’Anru et quels sont ses impacts sociaux ? Et si réhabiliter les bâtiments était plus écologique et moins cher que les démolir puis les reconstruire ? Connaissez‑vous les pratiques des architectes Kroll, Lacaton et Vassal, Ricard ou Siza ?  Aux Groux, en banlieue sud de Paris, les locataires se battent pour leurs droits depuis l’annonce en 2015 de la destruction programmée de leur cité. Rencontre exceptionnelle avec quatre femmes au cœur de cette histoire, Lutter pour la cité est aussi une boîte à outils pour qu’enfin la ville se fasse à partir de ses habitant·es. Critique de la « rénovation urbaine » telle qu’elle se fait aujourd’hui, cet ouvrage présente les alternatives architecturales, sociales et politiques qui se développent en France et à l’étranger.

3 ans, 3 auteurs et 3 parties

3 ans

3 ans pour que le projet de livre germe, d’abord sous l’impulsion de Maxime Poumerol d’Appuii et Claire Pelgrin de Renaissance des Groux ; pour recueillir quelques soutiens ; pour mener plusieurs séries d’entretiens avec les locataires de la cité des Groux à Fresnes et membres d’Appuii en pleine période de covid ; pour recueillir les éclairages des sociologues Julien Talpin et Agnès Deboulet, des architectes Jean-Philippe Vassal et Sophie Ricard ; pour consulter les archives et faire de nombreuses recherches ; pour réaliser dessins et photos ; pour mettre en place des ateliers d’écriture ; pour construire ensemble l’architecte du livre ; pour rédiger petit à petit l’ensemble des textes ; pour faire d’innombrables relectures et allers-retours ; pour mettre tout ça en forme (merci au passage aux maquettistes et graphistes) et enfin envoyer le « bon à tirer » à l’imprimeur…

3 ans, c’est pas mal, mais ce n’est finalement qu’une partie du chemin, un bout, un aperçu des combats et engagements de Renaissance des Groux et d’Appuii, qui fêtent respectivement leurs 7 et 10 ans d’existence cette année.

3 auteurs

« Lutter pour la cité » est le fruit des efforts conjoints de trois collectifs : Renaissance des Groux, association d’habitant-es de la cité des Groux à Fresnes dont le combat est le point de départ du livre ; Appuii, qui accompagne depuis 2012 des collectifs en lutte contre des projets urbains imposés pour les aider à se défendre et à se faire entendre ; enfin, le collectif Tenaces, composé de membres et ex-membres de Z, revue itinérante d’enquête et de critique sociale.

Un livre fabriqué collectivement donc, à plusieurs mains et à plusieurs voix, entre témoignages oraux et documents écrits, entre textes et images, entre doutes individuels et discussions collectives.

3 parties

La première est « La vie qu’on mène » : témoignages à la première personne d’habitant-es de la petite cité des Groux à Fresnes, Val de Marne, qui parlent de leur histoire et de la vie quotidienne de ce quartier populaire, mais aussi de leur mobilisation déterminée. On découvre ces vies que les politiques de démolition attaquent, affectent et brisent parfois, comme si le logement social ne comptait pas. Des pages « focus » donnent également des éclairages sur l’importance des grands jeux collectifs dans la cité, sur les rapports avec la police, sur l’ampleur des mariages ‘mixtes’, sur la période d’épidémie de drogue…

La deuxième est « Décider pour nous-même » : récit chronologique de sept années de lutte en quinze épisodes. Avec, pour chacun des épisodes une « fiche-outil » qui construit un véritable manuel de lutte utile à ceux qui se voient ou se verront imposer une « rénovation » urbaine : comment monter un collectif, gérer les relations avec la presse, tenir un rapport de force dans la durée, produire une contre-enquête avec les habitants, solliciter ses étudiants et enseignants-chercheurs pour un autre projet, etc.

La troisième est « Prendre soin, bâtir avec » : Face à la démolition urbaine, des alternatives existent ! Il y a d’abord le retour de la réhabilitation-nondémolition promue au début des années 80 dans laquelle trois générations d’architectes se retrouvent : L. Kroll, A. Lacaton et J.-Ph. Vassal et S. Ricard. Il y a aussi les projets politiques de Vienne la Rouge ou des SAAL de la Révolution portugaise de 1974. Il y a enfin des alternatives décentralisées et citoyennes qui font appel aux matériaux écologiques, à l’autoconstruction, etc.

Le chapitre comprend un « grand entretien » avec Jean-Philippe Vassal, de l’agence Lacaton-Vassal dont

l’attribution du Pritzker en 2021 vient légitimer le refus de la démolition.

De la cité des Groux à Fresnes, ce livre nous aura conduit à Poissy, Melun, Saint-Denis, Montreuil, Dijon, Roubaix, Montpellier, Marseille, Bordeaux, Boulogne-sur-Mer, et encore à Zurich, Barcelone, Lisbonne, Dakar, Salvador de Bahia…

On y croise les cités de transit, les premières actions de réduction des risques liés à l’héroïne, les après-midi dansantes de Fresnes, les Castors de l’après-guerre, le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB), le « community organizing » américain, Un centre-ville pour tous à Marseille, les Ateliers populaires d’urbanisme de Roubaix, le Service ambulant de soutien local portugais, les Compagnons bâtisseurs, Habitat participatif France, le Collect’IF Paille, la Fondation Abbé Pierre…

On s’intéresse au travail d’architectes comme Lucien Kroll, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Sophie Ricard, Alvaro Siza et Lacol engagés du côté des habitant-es, contre la démolition de logements et pour des habitats, confortables et accessibles, qui ne nient pas l’existant mais s’appuient dessus.

> Renaissance des Groux, Appuii et le Collectif Tenaces, Lutter pour la cité, Habitant·es face à la démolition urbaine, Éditions de la dernière lettre, 2022, 224 pages – 21 X 25 cm, ISBN 9782491109080

A commander dès maintenant : https://fr.ulule.com/lutter-pour-la-cite/

[dossier de presse à télécharger]

Retour sur les rencontres estivales d’APPUII

jeudi 8 septembre 2022 source : sciencescitoyennes.org

Appuii a profité de l’été pour participer à quelques rencontres et autres universités d’été pour faire connaître le travail fait avec les habitant.e.s des quartiers populaires, mais aussi naturellement pour entendre ce qui se passe ailleurs, et esquisser des rapprochements : conférence sur la rénovation urbaine le 27 août à Valence pour les Amfis d’été, ou participation active au JESER le même jour à Lyon, ce qui est présenté ici, alors que les rencontres Pas sans nous à Montpellier se voyaient annuler.

L’Association sciences citoyennes (https://sciencescitoyennes.org/) vise à (re)donner information et pouvoir aux citoyen.ne.s sur les choix scientifiques et techniques que les pouvoirs publics font, le plus souvent sans débat démocratique et de façon peu transparente, ce qui rappelle quelque chose à APPUII. Elle est, au sein d’un collectif plus large, à l’initiative des premières Journées d’été des savoirs engagés et reliés (JESER) qui se sont déroulées à Lyon du 27 au 29 aout, auxquelles elle a invité APPUII.

Ces journées (voir programme) s’organisaient autour d’exemples concrets de productions de connaissances en lien avec des enjeux socio-écologiques majeurs, et elles ont d’abord été pour nous l’occasion de sortir de nos domaines familiers (la ville, la démolition urbaine, la vulnérabilité, la solidarité…) pour s’ouvrir d’autres sujets, et pour voir comment les sciences dures, largement représentées, pourraient étayer des décisions politiques plus (ou plutôt enfin) responsables (voir une première synthèse ) ! C’est ainsi que la table ronde à laquelle participait APPUII faisait intervenir, notamment, la CRIIRAD, un organisme unique pour son indépendance sur le nucléaire, qui corrélait les manques systématiques de données sur le rayonnement nucléaire et difficulté de débattre sur ces questions, ainsi que le Réseau Santé Public, qui soulignai la suppression progressive de tous les moyens de mesurer les méfaits des composants chimiques ou la manipulation des seuils et autres effets cumulatifs. Ce dernier point n’est pas sans rappeler que, dans le monde du travail, la suppression des CSHCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) par les « ordonnances Macron » de janvier 2020 rendrait probablement impossible aujourd’hui un procès comme celui de France télécom (Cf. « Harcèlement au travail et harcèlement sur le logement : le procès France Telecom et la rénovation urbaine », newsletter d’ APPUII du 8 janvier 2020). ATD quart monde constatait de son côté, toujours en encore, que ceux qui parlent de la pauvreté n’en ont pas l’expérience, qui fonde pourtant un véritable savoir (Elena LasidaMichel RenaultMarianne de Laat et Bruno Tardieu, « Le savoir de l’expérience de la pauvreté. Étude à partir d’une recherche participative sur « les dimensions de la pauvreté avec les premiers concernés » », Participations, n°° 32, 2022/1, Recherches participatives et épistémologies radicales, pages 93 à 125).

Appui a donc participé à cet après-midi d’échange en présentant l’association, et en insistant sur le fait que nous étions à la fois du côté de la production de connaissances alternatives (Cf. les enquêtes menées auprès et avec des habitant.e.s), mais aussi, par notre objet même, du côté de l’action, en particulier avec la production et l’accompagnement de projets alternatifs (très concrets) qui ouvrent d’autres voies issues des habitant.e.s et renforcer ou relancer ainsi des mobilisations dans les quartiers populaires. Les questions posées par les participant.e.s ont permis de revenir sur la notion « d’alternative » dans les projets, qui ouvre de nouveaux choix et permet de forger de nouveaux accords, ou de percevoir le lien entre des projets architecturaux ou urbains et les enjeux de santé publique, lorsqu’il mettent en œuvre des produits issus de la pétrochimie, et en particulier des plastiques (sols, revêtements muraux…). La dernière question, venant d’un jeune ingénieur, visait la façon dont les intellectuel.e.s engagé.e.s s’investissent dans des rapports de force ; on peut bien sûr répondre en évoquant les coopérations APPUII, Universités, Ecoles d’architecture et recherche. On peut surtout souligner le pouvoir d’agir des étudiants dans leur établissement, question politique réelle et particulièrement d’actualité cette année : ce sont en effet les mobilisations des étudiant.e.s de certaines Grandes écoles (Cf. l’appel à déserter de huit diplômés d’AgroParisTech le 30 avril ou la tribune des étudiants de l’ENS pour une recherche davantage connectée à la société parue le 11 mais dans Le Monde) qui ont obligé leurs directions à sortir du déni (ou de la réserve !) pour prendre le train en route (Cf. la tribune de F. Worms directeur de l’ENS dans Le Monde du 23 juillet 2022). Dans ce champ de forces, aux enseignant.e.s-chercheur.e.sde se déterminer : vont-ils ou vont-elles aider les étudiant.e.s à construire leur pouvoir d’agir collectif ou se rangeront-ils ou elles du côté de la neutralité, donc du déni ?

La dernière question, venant d’un jeune ingénieur, visait la façon dont les intellectuel.e.s engagé.e.s s’investissent dans des rapports de force ; on peut bien sûr répondre en évoquant les coopérations APPUII, Universités, Ecoles d’architecture et recherche. Mais on peut aussi élargir la question au pouvoir d’agir des étudiants dans leur établissement, question politique réelle et particulièrement d’actualité cette année : ce sont en effet les mobilisations des étudiant.e.s de certaines Grandes écoles (Cf. l’appel à déserter de huit diplômés d’AgroParisTech le 30 avril ou la tribune des étudiants de l’ENS pour une recherche davantage connectée à la société parue le 11 mais dans Le Monde) qui ont obligé leurs directions à sortir de la réserve, ou plutôt du déni, pour prendre le train en route (Cf. la tribune de F. Worms directeur de l’ENS dans Le Monde du 23 juillet 2022). Dans ce champ de forces, aux enseignant.e.s-chercheur.e.sde se déterminer : aider les étudiant.e.s à construire leur pouvoir d’agir collectif, ou se tenir en retrait ? On retrouve là les questions à l’origine, dans d’autres contextes, d’APPUII.

À Montreuil, La Noue et le Clos-Français se mobilisent

Le quartier de la Noue – Clos Français à Montreuil est ciblé par un projet de rénovation urbaine. Ce projet prévoit, entre autres, la démolition de 92 logements sociaux et de deux galeries commerciales, la construction de 690 logements et la résidentialisation et réhabilitation d’une partie des logements déjà existants.

Logements concernés par la démolition, rue du Clos Français , source : APPUII 2022

Bien qu’une concertation ait été mise en œuvre depuis 2018, certaines opérations sont contestées. Un collectif d’habitants, en partenariat avec l’association Media Tess et Verdragon, s’est structuré pour participer activement à la construction de ce projet. Ce collectif a alors fait appel à APPUII pour les accompagner dans ce travail.

Réunion de quartier autour du projet de rénovation urbaine, 4 juillet 2022, source: APPUII

Au cœur des opérations contestées, la démolition de la tour E qui est en pourparlers entre les décideurs. Les habitants attirent aussi l’attention sur l’urgence de réhabiliter les anciens appartements du Clos Français, dont certains sont insalubres. Une exposition photo des intérieurs dégradés est en cours l’élaboration et fera l’objet d’une exposition nomade dans tout le quartier.

Centre commercial (dit « le Tunnel ») concerné par les démolitions, source: APPUII 2022

Pour cette année, il s’agira dans un premier temps de comprendre l’ensemble des tenants et aboutissants du projet de rénovation urbaine, d’identifier les points de désaccord, puis dans un second temps, de construire des propositions urbaines pour sortir de ces désaccords. L’ensemble de ces travaux se feront avec le collectif et les habitants du quartier.

Pour contacter le collectif : lanouelogementdigne@gmail.com

Rapport d’activités 2021 : découvrez nos projets !

Vous l’attendiez, il est là ! Dans ce rapport d’activité, vous retrouverez toutes les actions d’APPUII ! Il résume l’ensemble de nos activités et de nos victoires pour que vous puissiez avoir un aperçu de qui nous sommes et de ce que nous faisons. L’ensemble de ces actions n’aurait pu voir le jour sans l’équipe permanente, et encore moins sans l’ensemble des bénévoles. Alors merci à eux !

L’année 2021-2022, post COVID, a été une année où nous avons pris un grand plaisir à retrouver physiquement les habitants avec qui nous travaillons, et qui plus est « chez eux ». Cette année a permis de consolider les actions de soutien à des collectifs d’habitants, en prolongeant des coopérations existantes et en en déployant de nouvelles.

La perspective de fêter nos 10 ans a aussi été l’occasion de poser quelques éléments de bilan au long cours, de se mettre collectivement d’accord sur la nécessité de capitaliser/publiciser les actions menées par APPUII et les collectifs d’habitants, de passer à une phase d’interpellation plus directe, et de chercher un modèle économique « moins fragile », nous permettant de projeter nos actions à plus long terme.

Nous tenons à remercier les salariés et bénévoles pour avoir amené Appuii jusqu’à ses 10 ans et pour avoir donné encore un souffle nouveau aux projets portés par l’association. Nous souhaitons aussi remercier nos financeurs sans qui nos actions et soutiens ne seraient pas possibles.

EN 2021, NOUS AVONS CONSOLIDÉ

Notre organisation interne : le fonctionnement autour d’un bureau élargi mensuel. Celui-ci a permis de faire des liens plus directs entre les actions de terrain et l’organisation interne, mais aussi de donner de nouvelles places à certaines bénévoles qui restaient jusque-là un peu au second plan de certains arbitrages quotidiens qui ont un réel impact sur le projet de l’association.

Notre expertise technique, en développant des démarches de contre-expertise (économique, sociale, et environnementale) plus poussées et en aboutissant un projet alternatif (Le Bois de l’Etang à La Verrière).

Une approche par territoires : le déploiement de projets transversaux pour mieux saisir ce qui se joue à des échelles territoriales en matière de transformations socio-urbaines (Plaine Commune) et de solidarités informelles dans le contexte de crise sanitaire (la recherche-action Solidarité Post Covid dans 5 villes dans les Yvelines).

La prise de recul par rapport aux actions portées par Appuii, principalement dans le cadre de l’ANR CoPolis. Cette recherche vise à une comparaison à d’autres activités d’intermédiation et d’expertise citoyenne portées par des structures associatives hybrides telles qu’Appuii (habitants, universitaires, professionnels) en France et au Brésil.

EN 2021 NOUS AVONS OUVERT DE NOUVELLES PERSPECTIVES

La formation : la certification QUALIOPI (avec l’association Capacités). Appuii porte notamment le volet relatif aux questions de relogement (organisation, droits, etc.).

La participation à la réponse à un projet de recherche-action européen : Horizon Europe sur Inégalités et participation (projet « Fairville »).

LES TERRAINS

Nous recevons régulièrement des sollicitations auxquelles nous ne pouvons répondre systématiquement : pour des raisons matérielles mais aussi car elles nous paraissent parfois sortir de nos champs d’intervention. De plus en plus de sollicitations nous proviennent de territoires en dehors de la région Ile-de-France.

En 2021, nous avons entamé des nouvelles collaborations dans différents quartiers :

– Dans le quartier du Valibout à Plaisir (78), avec le comité Dal 78, nous avons engagé un accompagnement technique pour com- prendre le projet de rénovation urbaine.

– A Pierre Sémard, au Blanc-Mesnil (93), des étudiants ont travaillé avec le collectif d’habitants pour les soutenir face à la démolition partielle envisagée de leur quartier.

– Dans le quartier du Mail à Vélizy (78), en soutien à l’amicale de locataires d’un immeuble prévu à la démolition dans le cadre d’un projet immobilier, nous avons préfiguré les bases d’un projet alternatif.

-Au Levant, dans la commune des Andelys (27), APPUII a accompagné le comité de locataires face à la démolition annoncée de leurs immeubles

Cette année a également été l’occasion d’un travail inédit pour APPUII avec l’association Renaissance des Groux à Fresnes et les Éditions de la Dernière Lettre, autour de la co-écriture d’un ouvrage retraçant la lutte de ces habitants pour la préservation de leur quartier.

2021 rime aussi avec victoire : dans le quartier Robert Schuman, le collectif d’habitants, APPUII et la coordination nationale Pas Sans Nous ont réussi à obtenir des engagements de la mairie en faveur de la non-démolition du quartier.

Progressivement, de nouvelles demandes émergent. L’année 2022 sera riche de collaboration comme à la Maladrerie Maladrerie (Aubervilliers), sur la ZAC Basilique (Saint-Denis), La Noue (Montreuil), ou le quartier Campanile (Marseille)

L’équipe salariée, soutenue par des stagiaires et bénévoles, a été présente de façon continue sur 4 terrains exemplaires et démonstratifs (interventions pérennes), de façon plus ponctuelle sur 8 autres et en conseil auprès de plus d’une dizaine de collectifs d’autres terrains.

Leurs actions se déploient en accompagnement technique et en appui à la mobilisation. Elles sont détaillées dans la suite du rapport d’activité, et dans le cas de certaines collaborations, elles donnent lieu à des preuves quantifiées (bilan carbone de la démolition, coût économique, coût social).

L’ensemble du rapport d’activité est disponible ici.

Khedidja MAMOU, avec les membres du bureau

Valibout (Plaisir, 78) : un projet alternatif qui prend forme

Ce vendredi 1er juillet, architectes, urbanistes, sociologues et historien, ont restitué leurs travaux au collectif d’habitants du Valibout à Plaisir. C’était l’occasion d’un bilan et d’un échange sur la suite de l’action. Étude sociohistorique, diagnostic des usages des espaces publics, étude de la mécanique de rue, et propositions de projets alternatifs, tous révèlent les contradictions portées par le projet municipal et sa volonté de détruire les espaces de vie au sein du quartier. Un autre projet est possible. Ils le démontrent !

Restitution auprès du collectif d’habitant (©APPUII)

L’étude sociohistorique : « Quand le 1000 feuilles a été détruit c’est carrément la vie du quartier qui a été détruite »

Frise temporelle des équipements du quartier (© ANR Copolis)

Ce travail de recherche, réalisé dans le cadre du programme de recherche franco-brésilien Copolis[1], retrace l’histoire des lieux qui comptent et ont compté pour les habitants du quartier. Il retrace de la construction du bowling sur la place du 500mètres jusqu’à la démolition du mille-feuille (maison des associations) qui était situé dans l’ancien silo-parking. Ce travail d’enquête, réalisé avec le comité DAL78, APPUII et des habitants du quartier, a donné lieu à la réalisation de la frise ci-dessus. Imprimée en grand format, elle a été exposée dimanche 26 juin lors de la fête de quartier des «anciens» du Valibout et a eu un franc succès, chacun.ne complétant de ses anecdotes ou de ses souvenirs cette longue histoire. Un livret sera produit et donné au collectif, racontant l’histoire de ce quartier qui fait le patrimoine populaire de Plaisir.

Diagnostic des usages des espaces publics : des espaces de rencontre mis en péril par le projet de rénovation urbaine

Fernanda Moscarelli, enseignante à l’Université Paris Nanterre, a restitué le travail mené pendant quatre mois par les étudiants de son master. Une carte synthétise les usages observés et racontés par les habitants dans les principaux espaces publics du quartier. Ce travail d’enquête dévoile des usages divers et riches tout au long de la journée et de la soirée, générant occasionnellement des désagréments pour le voisinage. Même si dans certains lieux l’occupation est majoritairement masculine, l’ensemble du quartier reste relativement mixte. Il met également en lumière la qualité intrinsèque de ce quartier piéton et végétalisé qui manque cependant d’entretien et de mobiliers urbains permettant à l’ensemble des habitants d’en profiter pleinement.

Ce diagnostic révèle que le projet urbain envisagé par la mairie vient détruire ces 4 espaces publics pour y faire passer des routes, sans avoir réfléchit aux usages existants !

Carte des usages des espaces publics (©APPUII et Université Paris Nanterre)

La mécanique de rue : une pratique invisibilisée

L’étude sur la mécanique de rue a elle aussi été fructueuse. Redda, membre du comité DAL 78 et stagiaire chez APPUII, à travers un important travail d’enquêtes, auprès des mécaniciens et des riverains, pu comprendre les besoins et les nuisances d’une telle activité dans le quartier.

Environ 15 mécaniciens, habitants du quartier, y travaillent de manière permanente, permettant de répondre d’une part aux besoins des habitants avec une offre de service à prix abordable tout en participant à l’économie du quartier. Travaillant aujourd’hui de façon informelle, la grande majorité des mécaniciens sont prêts à se régulariser pour participer de la création d’un garage solidaire prévu dans le cadre du projet de rénovation urbaine, mais auquel ils n’ont pas été associés.

©APPUII

« Requalifier l’existant » : les hypothèses d’aménagement des jeunes architectes

©ENSA Paris La Villette

Les étudiantes de l’école d’architecture de Paris La Villette ont quant à elles présenté leur projet alternatif. Il s’appuie sur la réhabilitation des logements, des commerces, des équipements, ainsi que sur le réaménagement des stationnements. Cette solution propose une valorisation de la trame verte et de la piétonnisation préexistante au Valibout, elle compose en finesse des parcours apaisés pour les enfants et proposent des lieux de rassemblement public pour toutes les générations. Elle n’exclut pas l’arrivée de nouveaux logements en accession sur le quartier, mais refuse les nouvelles routes, les démolitions et la résidentialisation de l’existant. Des planches et une maquette seront exposées au local pour que chacun.ne puisse découvrir et s’approprier ce projet dessiné par les habitants.

Prochainement, l’ensemble des travaux sera exposé dans le local du comité DAL 78, puis présenté aux pouvoirs publics. Rendez-vous en septembre !

Pour avoir plus d’informations sur le projet :


[1] https://copolis.hypotheses.org/

Le Mail (Vélizy, 78) : l’amicale de locataires présente son projet aux habitants

Ce samedi 2 juillet, les membres de l’amicale de locataires du Mail, d’APPUII et de l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette présentaient leur projet de requalification du quartier du Mail. Au marché, la grande majorité des passants étaient favorables à ce projet sans démolition, plus respectueux des habitants actuels et de l’environnement.

©APPUII

Depuis presque un an, les locataires du quartier du mail se mobilisent face à un projet de rénovation urbaine (hors-ANRU). Ce projet prévoit le déplacement de la galerie commerciale aux pieds des immeubles alentour, la démolition d’une barre d’immeuble et de deux cages d’escaliers d’une autre, la création d’un plan d’eau, la suppression des stationnements extérieurs et la construction d’un projet immobilier de 5 tours de logements privés. Ce projet prévoit ainsi le délogement de 150 foyers disposant de loyers plafonnés, inférieur au prix du marché.

Alors que les locataires sont très majoritairement contents de leur logement et du quartier,  certains d’entre eux se constituent en amicale et font appel à APPUII pour repenser le projet urbain. Depuis 6 mois, en partenariat avec Alexandre et Pierre, étudiants à l’école d’architecture de Paris La Villette (ENSA La Villette), ils envisagent un projet alternatif, plus réaliste, plus économique et beaucoup plus soucieux de l’environnement : l’immeuble est rénové, les parkings aériens gratuits sont réaménagés et végétalisés et une coulée verte est créée (sans rivière ce qui permet la sauvegarde des 2 cages d’escalier rue Paulhan).

Un réaménagement des espaces commerciaux qui fait consensus

La partie “aménagement du marché/déplacement des commerces” présentée par Mr le Maire, faisant à peu près consensus auprès des habitants, des commerçants du Mail et des commerçants du marché, nous le laissons tel quel. Mais nous faisons le choix de valoriser les immeubles existants en les rénovant.

Une coulée verte conviviale et durable

Plutôt que de démolir l’immeuble, créer une rivière artificielle et un parking souterrain hors de prix, nous privilégions la création d’une véritable coulée verte, avec une piste cyclable et des espaces détentes. La majorité des places de parkings gratuites sont conservées et végétalisées.

©alexandre Donat et Pierre Freitas
©alexandre Donat et Pierre Freitas

©alexandre Donat et Pierre Freitas

Une réhabilitation sans démolition

Mr le Maire prétexte “la transparence et l’ouverture” pour justifier son projet démolition. Or, cette destruction ne dégagera pas la vue puisque le regard butera sur la caserne des CRS et les 4 nouveaux bâtiments. Notre projet prévoit la réhabilitation thermique et esthétique de l’immeuble.

Sur la façade sud, des brises soleil amovibles sont installés. Une extension des appartements est prévu côté nord, avec ajout de balcon. Des pieds d’immeuble sont ouverts pour faciliter le passage entre le parking S. Lecointe et le centre commercial. Des rampes sont créées pour les personnes à mobilité réduite.

©alexandre Donat et Pierre Freitas
©alexandre Donat et Pierre Freitas
©alexandre Donat et Pierre Freitas

A travers cette proposition, il s’agit d’ouvrir un espace de dialogue pour vraiment discuter du futur du quartier du Mail.

Si vous souhaitez plus d’information sur ce projet ou la mobilisation, n’hésitez pas à contacter :

L’amicale du mail : amicale.mail@gmail.com ou l’association APPUII : associationappuii@gmail.com

Roman Ratushny, activiste urbain kiévien, mort au front, à l’Est de l’Ukraine : « un coup au cœur de toute une génération »

Photo de Roman Ratushny / facebook

Depuis la révolution de Maïdan de 2013-2014, la cause urbaine et l’activisme urbain n’ont cessé d’augmenter en Ukraine. Un de ses militants, Roman Ratushny, est mort à la guerre le 9 juin, près d’Izioum, dans la région de Kharkiv. Le 18 juin, à midi, des centaines de personnes sont venues lui rendre hommage sur la place centrale du Maïdan, à Kyiv. Dès le premier jour de l’invasion russe à grande échelle, le 24 février, Roman avait rejoint la défense territoriale de la capitale, et plus tard la 93e brigade mécanisée, dans une unité d’éclaireurs. Il a participé à la libération de Trostyanets, dans la région de Soumy et il a combattu près d’Izioum. Le 5 juillet, Roman aurait dû fêter ses 25 ans.

Rarement l’émotion sur les réseaux sociaux ukrainiens n’a été aussi unanime. Sa mort a été vécue comme une tragédie pour de nombreux Ukrainiens, même ceux qui ne le connaissaient pas personnellement. Pendant plusieurs jours, le fil d’actualité a été rempli de témoignages. Roman Ratushny est devenu par sa mort le symbole d’une génération politique née pendant la révolution de Maïdan en 2013-2014, et qui s’est engagée ensuite dans des luttes de la société civile, puis contre l’envahisseur russe en février 2022. Roman était la « quintessence de l’Ukraine dont on rêve », lit-on sur Internet. Sa mort est « un coup au cœur de toute une génération… Perdre un tel Roman Ratushny, c’est perdre des années et des décennies de travail acharné et de contributions insensées pour élever un homme de sa trempe », dit la critique d’art et historienne Anna Kaluger. Certains qui travaillaient avec lui rêvaient le voir un jour devenir président du pays, comme Liudmyla Yankina, militante des droits de l’homme et responsable du projet de protection des défenseurs des droits de l’homme et des militants sociaux du Centre des droits de l’homme ZMINA.

Après Maïdan, Roman Ratushny a été actif dans de nombreuses initiatives citoyennes contre des destructions de quartiers à Kyiv en vue de projets immobiliers. En 2019, à l’âge de 21 ans, il fonda l’association « Protégeons Protasiv Yar » contre le projet d’aménagement d’un complexe de sports de glisse, illégal, dans son quartier, dans la banlieue de Kiev. Ce projet envisageait la construction de plusieurs tours d’habitation de quarante étages dans un parc urbain. En juillet 2018, le groupe Daytona, un promoteur immobilier lié au président du conseil public relevant du conseil municipal de la ville de Dnipro, Gennadiy Korban, avait obtenu illégalement l’autorisation de construire dans le parc de Protasiv Yar. Le lancement du chantier et la mise en place de clôtures avaient immédiatement provoqué la colère des riverains. Une réunion publique avait alors été organisée, au cours de laquelle Roman avait été élu représentant du groupe, puis de l’association locale créée pour défendre le parc. En mai 2019, l’Inspection nationale de l’architecture et de la construction interdit au groupe Daytona de poursuivre la construction dans la zone verte. Le promoteur fit appel auprès du tribunal administratif du district de Kyiv. Il obtint gain de cause en septembre 2019. La lutte devant les tribunaux se poursuivit, grâce à l’acharnement de militants comme Roman : les deux décisions du tribunal administratif de district furent finalement été annulées. Le 28 juillet 2020, l’administration d’État de la ville de Kyiv vota pour deux des trois propositions avancées par l’association « Protégeons Protasiv Yar ». La première consistait à restituer le statut de zone verte aux parcelles de Protasiv Yar. La seconde obligeait le conseil municipal de Kyiv à permettre la création d’un parc paysager régional dans cette zone.

Roman Ratushny se rendait régulièrement dans les tribunaux et il était soutenu par des avocats connus des milieux des droits de l’homme en Ukraine, comme Liudmyla Yankina de ZMINA (citée plus haut). Il subissait des pressions de la part des promoteurs immobiliers, des forces de l’ordre et des autorités : Roman se trouvait sur le banc des accusés à cause d’accusations forgées de toutes pièces. Il fréquentait également les tribunaux comme partie plaignante en tant que défenseur des intérêts de Protasiv Yar. Roman recevait aussi des menaces, publiques et privées, de la part du promoteur Gennadiy Korban. Les représentants du promoteur tentèrent de « négocier » avec le militant. Ce fut le cas par exemple de l’avocat Andrei Smirnov, qui occupe désormais le poste de chef adjoint du bureau du président, s’occupant de manière informelle du pouvoir judiciaire. À l’époque, Smirnov avait laissé entendre que des représailles physiques pourraient être exercées contre les militants de Protasiv Yar s’ils n’étaient pas disposés à trouver un compromis. En raison de la situation tendue, les défenseurs de Protasiv Yar lancèrent plusieurs appels à l’aide au président Volodymyr Zelensky. Le chef de l’État avait promis de régler le problème. Cependant, Smirnov a ensuite rejoint le cercle intime du président.

En juin 2022, le tribunal commercial d’État de la Cour suprême d’Ukraine a temporairement interdit la construction à Protasiv Yar. La lutte de Protasiv Yar est ainsi emblématique de la société civile ukrainienne qui tente de s’opposer à des pratiques de corruption et des processus d’artificialisation des sols dans des grands projets d’aménagement. Elle s’est inspirée et a inspiré d’autres mobilisations du même type, l’Ukraine ayant connu une forte montée de l’activisme urbain suite à la révolution, comme dans d’autres pays par exemple en Égypte.

Roman Ratushny a également participé à d’autres luttes contre la corruption, de niveau national, un thème qui était l’une des revendications de la révolution de Maïdan et un des grands chantiers de la période postrévolutionnaire, la guerre constituant, selon de nombreux activistes, un obstacle à la démocratisation et aux réformes portées par la société civile. Roman a participé aux manifestations de rue en soutien à Kateryna Handziuk, une militante anticorruption de Kherson qui a été tuée en 2018. En 2020, Ratushny s’est présenté aux élections du conseil municipal local, mais sans succès. Il avait alors 23 ans. Le 20 mars 2021, il a participé à une manifestation de soutien à Serhiy Sternenko, militant, avocat et YouTuber, devant le bureau présidentiel à Kyiv. Avec le slogan « Vous n’entendez pas ? Eh bien vous allez voir ! », les manifestants avaient demandé la libération de prisonniers politiques, le renvoi des sympathisants de l’ancien régime de Ianoukovitch et des agents russes des fonctions publiques, la fin de la crise constitutionnelle en cours et une réforme judiciaire. Roman fut poursuivi pour avoir participé au rassemblement et inculpé pour « trouble à l’ordre public en raison d’un manque de respect évident pour la société, en relation avec un groupe de personnes avec préméditation et utilisation d’armes ou d’autres objets pouvant infliger des lésions corporelles » (partie 4 de l’article 296 du Code pénal). Le 29 mars, le tribunal Pecherskyy de Kyiv ordonna que Roman soit placé en résidence surveillée 24 heures sur 24. Roman affirma qu’il avait bien participé à la manifestation, mais qu’il n’avait pas commis aucun acte répréhensible. Pour lui, son inculpation et assignation à résidence étaient un moyen de l’éloigner de la lutte pour Protasiv Yar, et notamment de l’empêcher d’assister aux audiences prévues au tribunal.

Le 21 avril 2021, l’activiste fut libéré de son assignation à résidence. La même année, il obtint une autre victoire, pour un événement antérieur, Maïdan. Roman figurait parmi les plaignants d’une plainte déposée contre le gouvernement Ianoukovitch devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui reconnut la validité de sa plainte, estimant que son droit de manifester pacifiquement avait été violé en novembre 2013 (lorsqu’il fut battu brutalement par les forces de l’ordre).

Roman Ratushny était le fils de l’écrivaine et journaliste, Svetlana Povalyaeva, et du journaliste et militant de « Sauvez le vieux Kyiv » et organisateur de la Marche pour la liberté du cannabis, Taras Ratushny. Ses amis et connaissances qualifient Roman Ratushny d’extrêmement courageux, intelligent et doté de principes, et prêt à aller jusqu’au bout sans trahir ses positions. La directrice de la Fondation DEJURE (qui se bat pour établir un système judiciaire véritablement indépendant en Ukraine) et présidente de l’initiative « Qui a tué Katya Gandziuk ? », Marina Khromykh, compare la mort de Roman Ratushnyi à la perte de l’activiste Kateryna Handziuk, qui était devenue un symbole de la lutte pour les droits de la société civile. Elle appelle les habitants de Kyiv à empêcher une action du secteur corrompu de la construction à Protasiv Yar, qui pourrait se produire après la mort de Roman. Yevhen Leshan, président de l’organisation publique « Défense ukrainienne » et rédacteur en chef de l’agence de presse « Centre pour le journalisme d’investigation », exprime des craintes du même ordre : « Il semblait à tous que Roman Ratushny était aussi éternel que l’était la lutte de la société ukrainienne contre les maraudeurs effrontés – fonctionnaires et hommes d’affaires qui dévorent l’Ukraine vivante pour de l’argent et pour entrainer sa perte. La crapule qui a essayé de construire Protasiv Yar est probablement en train de dire merci aux balles russes« .

Les Ukrainiens ont connu la mort et la destruction à grande échelle au cours des quatre derniers mois. L’invasion russe a poussé de nombreux Ukrainiens issus de tous les milieux sociaux à se porter volontaires pour les forces armées. Les meilleures de ces recrues sont envoyées au front. De nombreux commentateurs disent que la mort du jeune homme rappelle aux Ukrainiens que la guerre leur prend leurs meilleurs éléments, les plus dynamiques et les plus engagés pour leur pays, y compris ceux qui ont un point de vue critique et progressiste sur la reconstruction de l’État depuis la révolution de Maïdan en 2013-2014.

Perrine Poupin (CNRS/AAU-CRESSON)

Recrutement : APPUII cherche un.e chargé.e de coordination !

Vous êtes intéressé.e par les questions d’urbanisme et vous souhaitez vous engager dans une association dynamique au service des habitants touchés par des grands projets d’urbanisme ? Nous recrutons un chargé de coordination pour septembre 2022. Plus d’infos ici.

Le CV et la lettre de motivation sont à envoyer à associationappuii@gmail.com avant le 26 juin 2022.